Comment ça va le monde ? Saison 3

Une série d’émissions autour d’un même sujet, le temps du développement de la pensée d’un invité. Une approche intellectuelle et scientifique en lien avec le terrain, qui questionne, sous un angle ou sous un autre, les démocraties occidentales néolibérales.

Saison 3 : Depuis la périphérie du monde
Comment et pourquoi les jeunes des quartiers populaires sont une clé de lecture, un curseur de l’état de nos démocraties ? Comment comprendre et (re)créer un dialogue avec les marges de la société ? Quels outils sont à notre disposition et peut-on inventer pour répondre aux problématiques de ces populations ? La psychosociologue Joëlle Bordet nous livre son regard, les résultats de ses années de travaux et d’expériences pour nous ouvrir, au-delà des frontières, à un nouveau regard sur les rouages du monde dans lequel nous vivons.

Une émission d’Antoine Guillot, avec Joëlle Bordet

Episode 1 (sortie le 7 avril 2025)
Episode 2 (sortie le 14 avril 2025)
Episode 3 (sortie le 21 avril 2025)
Episode 4 (sortie le 28 avril 2025)

Emission à retrouver sur votre plateforme d’écoute préférée

S3E1 : Les jeunes des quartiers
« Je m’appelle Joëlle Bordet, je suis chercheuse psychosociologue et je poursuis des travaux de recherche collaborative depuis plus trente ans. Ces travaux ont toujours le même sujet : Comment comprendre l’adolescence des jeunes des quartiers populaires urbains pour pouvoir les accueillir au mieux dans la complexité du monde d’aujourd’hui dans une perspective démocratique. Pour répondre et mettre en œuvre cette question, je mets en place des collectifs d’adultes, de professionnels, d’élus et de citoyens qui écoutent et dialoguent avec ces jeunes filles et garçons entre treize et vingt-cinq ans. Cette culture collective nous permet de mieux concevoir les possibilités de les accueillir et de lutter aussi contre les stéréotypes et de voir les attitudes racistes dont ces jeunes et leurs familles font souvent l’objet. Plus que jamais, je pense que ce travail de témoin du vécu de ces jeunes peut contribuer à les rendre visibles dans leur complexité et à faire résistance aux politiques d’extrême droite. Pour répondre au mieux à cet engagement, j’ai eu la possibilité de créer un réseau international de recherches qui associe des pédagogues, des artistes et des chercheurs de plusieurs disciplines comme l’anthropologie, la psychanalyse et la psychosociologie. Ce collectif est issu de huit pays différents (Brésil, France dont Mayotte, Portugal, Italie, Ukraine, Israël – Palestine, Sénégal, Pologne). Notre dernière recherche intitulée « De la colère à la démocratie », a permis d’établir des circulations, de la pensée, de l’expérience, de la rencontre ; Ces circulations influencent beaucoup notre écoute et notre façon de vivre et de penser le monde, j’essaierai d’en rendre compte dans ces entretiens. » Joëlle Bordet

S3E2 : Rapport à soi, rapport à l’autre, rapport au monde
« Aujourd’hui, tous les jeunes naissent dans un monde en grandes transformations, à la fois enthousiasmant et inquiétant, à la fois pris dans le risque de la normalisation et de la fragmentation, dans l’immédiateté où le passé et l’avenir s’effacent, où ils sont convoqués à se situer très jeune et de façon permanente. Ces caractéristiques ne sont pas propres aux jeunes de France mais sont vécus par tous dans des contextes très différents. Alors, comment se situer en tant qu’adulte pour les aider à se repérer, à circuler, à transformer les risques d’aliénation en ouverture et en potentialité ? Pour tenir avec eux cet enjeu, la pensée d’Etienne Balibar sur ce que représente ces quartiers populaires urbains de France et ceux qui y vivent dans la mondialisation, celle de Jacques Rancière, traduite par l’ami Daniel Boitier, m’ont donné un étayage pour circuler concrètement et dans la pensée avec les jeunes et ceux qui les accompagnent. La psychosociologie fondée sur une approche démocratique du changement a fait le choix d’écouter et de penser les « Sujets de l’intime au politique ». Cette approche  initiée par Jean Dubost dans la recherche en milieu ouvert est notre fil à plomb. Avec des amis comme Bernard Champagne nous avons visé à la mettre œuvre le Centre Scientifique et Technique qui a accueilli cette proposition de travail et m’ a permis de la réaliser. Ainsi pour circuler avec ces jeunes souvent soumis aux dominations et à des nouvelles formes d’aliénation, il faut pouvoir, en réseau, se construire des points d’appuis et de référence. » Joëlle Bordet

S3E3 : S’affirmer, se situer, prendre position
« Dans cet entretien ,nous parlons du désir de ces jeunes filles et jeunes hommes de pouvoir s’affirmer, d’être reconnu, de pouvoir être croyant dans une société laïque, de pouvoir se revendiquer de leur  histoire et de leurs multiples appartenances. En effet, les jeunes que j’écoute vivent à la charnière de leur histoire singulière et celle de la France post coloniale et post ouvrière. Je regrette parfois de n’avoir pas pu écouter davantage les jeunes des milieux populaires ruraux ou ceux d’autres classes sociales, j’ai parfois eu peur de les enfermer dans une condition qui serait singulière ; Pour éviter cet écueil, les échanges avec les psychanalystes de l’adolescence m’ont  permis d’écouter ces jeunes dans leur transformation adolescents, commune à tous ces jeunes et de mieux identifier le rôle et les points d’appuis des adultes pour les accueillir. Les travaux d’Hannah Arendt, en particulier dans l’ouvrage « La crise de la culture », constituent un étayage permanent pour réaliser cette recherche. Elle y dit combien le renouvellement démocratique est au croisement de nos capacités à transmettre en confiance nos acquis sans s’y enfermer et à se transformer en prenant en compte les représentations du monde par les jeunes à chaque génération. Face aux évolutions rapides de nos sociétés, au désir des jeunes de s’affirmer, de prendre position et de se situer, ces travaux constituent des points d’appuis pour accueillir ces jeunes en renouvelant ou créant notre confiance par rapport à eux. » Joëlle Bordet

S3E4 : Les défis à tenir pour resister
« Tenir ce défi de résistance suppose une pensée politique individuelle et collective. Face à la violence qui se développe aujourd’hui en France et ailleurs par rapport à ces populations, la réponse ne peut être ni technique, ni idéologique, mais elle doit être politique. Ceci signifie de mieux comprendre les enjeux historiques que, de fait, ces jeunes incarnent – Tels que les rapports à la spiritualité et aux valeurs, tels que les identités multiples et plastiques, les rapports d’égalité et d’émancipation, le devenir des rapports de genre –. Autant d’enjeux qui se signifient en acte et en pensée. Les travaux de psychosociologues américains, comme Richard Sennett et d’autres philosophes du lien social, nous aident à les penser. Au quotidien, le désir de vivre de ces jeunes, leur énergie pulsionnelle – Même si elle peut se retourner contre eux même – Leur curiosité et leur humour constituent des points d’appui qui permettent de soutenir avec eux des processus de création, d’inventions et non de prévenir en permanence des dangers. Je suis très critique par rapport aux approches de prévention car elles ont nourri de nombreuses approches sécuritaires. S’il s’agit d’être lucide face aux dangers, notre question est de traverser avec eux leurs peurs et les nôtres et de renouveler ainsi nos façons de les accueillir et de les accompagner. En France, les politiques publiques constituent un enjeu important car il ne s’agit pas seulement de moyens techniques et financiers mais d’inventer en permanence des politiques associant le champ local et national. Face à la montée de l’extrême droite et à ces gouvernances de plus en plus stigmatisantes, les interlocuteurs quotidiens de ces jeunes doivent pouvoir trouver des points d’appuis dans ces politiques publiques et ceux qui les représentent et les mettent en œuvre. Aujourd’hui, nous devons nous faire confiance tout en étant très lucide, l’alliance avec les communautés de vie de ces jeunes est plus que jamais nécessaire. » Joëlle Bordet

Bibliographie

Bordet Joëlle « Les jeunes de la cité », Éditions PUF le sociologue, 1996
Bordet Joëlle et Philippe Gutton « Adolescence et idéal démocratique. Accueillir les jeunes des quartiers populaires », Éditions Inpress, 2014
Bordet Joelle « Guide méthodologique des ateliers de la pensée critique », Collection Agir, ANCT, 2019
Bordet Joelle et le réseau «  jeunes , inégalités sociales et périphéries » : « Résistances en temps de Covid dans les quartiers populaires », Collection le cafard, 2023

Pour approfondir :
Site cemea : Yakamedia
Revue de psychologie clinique dirigée par Olivier Douville
Revue Topique dirigée par Sophie de Mijolla

Repères théoriques :
H. Arendt, « Le jugementé », « la crise de la culture », « Le totalitarisme »
Todorov, « La conquête de l’Amérique »
Amin Maalouf, « Les identités meurtrières »
Richard Sennett, « Le respect. De la dignité des hommes dans un monde d’inégalités »
Erikson, « La crise d’identité à l’adolescence »
Philippe Gutton, « Le pubertaire »
Georges Deverreux, « De l’angoisse à la méthode »
Sophie de Mijolla, « À voir sur la symbolisation »